MOUVEMENT ET CRÉATIVITÉ : deux partenaires dans l’apprentissage

Lorsque j’observe les gens bouger dans mes cours de mouvement, je suis fascinée de voir à quel point, lorsqu’ils sont présents à leur univers sensoriel ils sont amenés à être naturellement créatifs.

Comment le mouvement peut-il donc faciliter cette créativité ?

Je me suis intéressée à la recherche de Mihaly Csikszentmihalyi (1996) sur la créativité. Selon Csikszentmihalyi, la créativité donne un sens à la vie. «Tout d’abord, tout ce qui est intéressant, important et humain y trouve sa source. Nous partageons 98% de notre bagage génétique avec les chimpanzés. Ce qui nous en différencie – langage, valeurs, expression artistique, analyse scientifique et technologie – est un produit de l’ingéniosité individuelle qui a été reconnu, récompensé et transmis par l’apprentissage. Sans la créativité il serait bien difficile de distinguer l’homme du primate. Ensuite l’engagement dans un processus créatif donne la sensation de vivre plus intensément. La fièvre de l’artiste devant son chevalet, celle du scientifique dans son laboratoire, sont proches du sentiment de plénitude que nous attendons de la vie.» (p.8)

Dans son ouvrage, Csikszentmihalyi, aborde notamment les notions de jeu et de nouveauté.

« … les créateurs ont en commun la passion de ce qu’ils font. Et leur motivation n’est ni la gloire, ni la fortune mais le plaisir. » (p.143) Qu’est ce que le plaisir s’est donc demandé Csikszentmihalyi ? Il a donc entrepris une étude sur des individus passionnés, comme des danseurs, des alpinistes, des compositeurs qui consacraient leur temps à leur activité favorite sans rémunération. « Pourquoi ? Pace qu’ils en retiraient une qualité d’expérience qui les poussait à recommencer. Ce sentiment de plaisir, ils ne l’éprouvaient pas en se reposant, en buvant de l’alcool, en prenant des drogues, ou en dépensant de l’argent…..par ailleurs, leur activité… comprenait un élément de nouveauté et de découverte. (p.147) Il a donné le nom de flux à cette expérience particulière.

W. Kandisky, 1910

W. Kandisky, 1910

Ces notions de jeu et de nouveauté sont aussi des éléments fondamentaux de la pédagogie de la méthode Feldenkrais.

Par la création de partitions de mouvements intelligemment conçues, Feldenkrais, dans sa méthode, nous permet d’expérimenter un espace dans lequel notre créativité peut émerger sans jugement et sans peur. Il intègre le concept qu’est la créativité au cœur même de l’expérience du corps en mouvement dans l’espace.

Rappelons-nous que dans une séance de conscience de soi par le mouvement, les élèves sont guidés verbalement à travers une séquence portant sur un thème fonctionnel de la vie humaine comme marcher, se tenir debout, se pencher, se retourner, respirer, etc.

Cependant, l’apprentissage ne se limite pas à la fonction. En effet, il rejoint également tout le processus par lequel la personne apprend par elle-même, sa capacité à faire des choix et à en générer de nouveaux, à faire des distinctions, à s’orienter dans l’espace par rapport à elle-même, à porter attention à son senti et à se le réapproprier.

Nous retrouvons dans ce processus des éléments qui sont communs à la démarche créative. Voici trois des neuf éléments inhérents à la créativité selon Mihaly qui rejoignent la pédagogie de Feldenkrais :

1. « Conscience et action sont intimement mêlées. Nous faisons bien souvent les choses l’esprit ailleurs. En classe, les élèves peuvent sembler attentifs à leur professeur alors qu’ils pensent à la récréation ou à un prochain rendez-vous. […] Dans le cas d’une expérience optimale, à l’inverse, notre attention est entièrement fixée sur l’action en cours. » (p. 149)

C’est exactement ce qui se passe dans une leçon de mouvement quand nous demandons, par exemple, aux participants d’être présents à ce qu’ils ressentent pendant qu’ils bougent.

2. « Les distractions sont exclues de la conscience. Notre attention se fixe sur ce qui concerne l’ici et maintenant à l’exclusion de toute autre chose. Si le musicien pense à sa santé ou à sa déclaration de revenus quand il joue, il risque fort de faire des fausses notes. […] Le flux résulte d’une intense concentration sur l’instant présent et nous délivre des peurs qui provoquent angoisses et dépressions dans notre vie quotidienne. » (p. 149)

Dans une séance de mouvement de la méthode Feldenkrais, l’attention, continuellement guidée par des questions qui portent sur l’expérience vécue de l’intérieur, permet aux participants d’être plus pleinement conscients.

3. « La peur de l’échec disparaît. Pendant l’expérience optimale, nous sommes trop impliqués pour nous soucier d’un éventuel échec. Certaines personnes évoquent la sensation d’une maîtrise totale; mais il s’agit plutôt d’une absence totale d’inquiétude quant au résultat. » (p. 149)

W. de Kooning, 1988

W. de Kooning, 1988

Feldenkrais a eu le génie d’aborder ses thèmes fonctionnels (par ex. Rouler) en décortiquant les composantes fonctionnelles de façon à ce que l’élève ne puisse savoir ce qui vient ensuite. Il navigue à l’aveugle plongé dans l’expérience immédiate. C’est une préparation à la fréquentation de l’inconnu dans un contexte sécuritaire et ludique. L’accent est mis sur le processus plutôt que sur le souci d’atteindre un résultat.

Ainsi, en pratiquant une forme d’éducation somatique comme la Méthode Feldenkrais, non seulement nous gagnons en souplesse, mobilité et bien-être, mais nous incorporons (in-corps-porons) (embody) aussi des éléments de la créativité et, mine de rien, de manière intuitive et spontanée, nous les développons.

Premier article d’une série de trois, rédigé par Marie-Lorraine Bérubé, avec la collaboration d’Ève Godin-Rheault.

Référence :
CSIKSZENTMIHALYI, Mihaly, La créativité, Éditions Robert Laffont, 1996.

Complément pertinent :
Conférence de Ken Robinson sur la créativité et l’éducation
http://www.ted.com/talks/ken_robinson_says_schools_kill_creativity.html

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